Ayant infiltré la vie japonaise de tout les jours depuis trois ans (et celle de ma femme depuis dix-sept), il y a petit à petit des expressions, des tournures de phrases qui finissent par passer moyen quand tu réfléchis un peu à ce qu'elles impliquent socialement.
Disclaimer. Je ne suis pas linguiste, je suis encore moins sociologue, je suis à peine bon en jap, j'y vis que depuis trois ans et y'a moyen que d'autres immigrés français remplissant de meilleures manières ces trois points, soient en complet désaccord. C'est donc un point de vue très personnel complètement relatif à mon vécu z'a moi.
Mais quand même, j'aime pas quand on m'ordonne de faire de mon mieux.
Ganbatte kudasai (頑張ってください), c'est une expression d'encouragement et ça se compose comme ça :
Alors j'en vois déjà qui vont me dire que je dis n'imp' car donner un ordre, c'est avec la forme en -nasai1. À ceux-ci, je les mets au défi de rester debout lorsqu'on leur demandera de suwatte kudasai et de compter le nombre de secondes qu'ils peuvent tenir face au regard en biais de leurs voisins de chaise. On vous dit : "Asseyez-vous, s'il vous plaît" et vous restez debout. Vous cherchez la merde.
C'est toute la subtilité car -kudasai, on traduit ça généralement par "s'il vous plaît" et ça passe sous silence la forme du verbe qui, vous l'avez remarqué (hein ?), en français est à l'impératif.
C'est donc un ordre poli, mais un ordre quand même.
Ben c'est pareil avec ganbatte kudasai, on me dit "Fait de ton mieux, s'il te plaît".
Sympa, l'encouragement.
Je vais maintenant expliquer mon point de vue sur cette expression et ce qu'elle implique dans les rapports sociaux.
Déjà, un ordre, c'est un shuriken : ça arrive de nulle part, dans la tronche et soit tu es assez bon pour limiter les dégâts, soit tu te le prends de plein fouet, mais dans tous les cas, tu cicatrises. En revanche, couplé à ganbaru, c'est un shuriken empoisonné, même si tu cicatrises, tu vas te prendre le second effet kisskool.
Si quelqu'un vous dit "ganbatte kudasai", vous ne le savez pas encore, mais vous êtes déjà mort.
"Ganbatte kudasai", ça implique que tu vas faire de ton mieux (s'il te plaît, hein) mais ... selon l'interprétation ou l'idée que se fait le lanceur de shuriken comme étant le meilleur effort que tu peux produire.
Le caractère vicieux, c'est donc d'utiliser un verbe dont le concept est propre à son sujet (le "mieux" de chacun n'est pas le même.) tout en ayant une bonne grosse connotation de résultat (pas ce que tu peux, ou juste un peu, non. Ton meilleur, hein) et d'en faire un ordre qui implique fatalement une subordination (c'est moi qui juge.), mais vaseliné d'un p'tit siouplait quand même parce que bon.
Vous la sentez la pression sur les épaules ? On a bien 50 % de la culture japonaise dans cette expression (l'autre 50 % étant dans une autre expression dont je parlerais un autre jour).
Oui, oui et dans un rapport constant et inconscient d'oppression de l'humain, ne pas toucher à un ordre camouflé en encouragement à faire de son mieux parce que voyez-vous, c'est dans la sacro-sainte culture, et bien j'en ai rien à foutre parce que ça me défrise.
On pourrait m'opposer que c'est justement ma culture de français rebelle qui me pousse à interpréter le machin de la sorte, mais ceux-ci n'ont probablement pas assisté au visage grave et autoritaire de leur "bourreau" quand il s'entend répondre d'un vibrant "は〜い" ("Ouii !") ou son léger froncement de sourcil quand ce même "oui", devient un "Ouais ..." ou "Ouais, ouais ..." plein de tumegonfle.
Le plus drôle étant l'état d'embrassement et de perplexité quand il se trouve face à quelqu'un pratiquant ce que j'ai décidé de nommer ...
Il y a trois Formes qui consistent toute à utiliser l'arme de son ennemi et la retourner contre lui. Mais seulement deux sont vraiment efficaces tout en garantissant ton intégrité morale. Ben ouais, on va utiliser l'arme de son ennemi, mais pas de la même manière que lui parce qu'on est pas des managers, ici.
Donc évacuons tout de suite la première.
Balancer le shuriken empoisonné avant qu'il te lance le sien. Manque de bol, c'est bien trop tributaire du contexte et de la personne qui se trouve en face. Tu vas pas ordonner de faire de son mieux à ton chef ou à quelqu'un qui n'a aucune raison de faire de son mieux à l'instant T d'une part, et utiliser un concept que je denonce comme fallacieux, c'est pas ouf pour la crédibilité, d'autre part. Perso, j'utilise jamais "ganbatte kudasai" pour quoi que ce soit.
C'est la forme au présent, mais aussi au futur donc c'est déjà mieux. Pourquoi ? Parce que là où "ganbatte kudasai" sous-entend un résultat selon des critères du donneur d'ordre, inconnus de toi, dire "Je vais faire de mon mieux" avant qu'il te l'ordonne, implicite que c'est selon tes critères, tout aussi inconnu de lui. Tu lui as damé le pion, il t'ordonnera rien vu que tu lui as dit que t'allais le faire.
Bon, ça implique de montrer que tu fais un effort, donc la pression est toujours présente.
Celui-là, c'est mon préféré, mais c'est aussi le plus difficile à placer et faut un être un sacré bourrin (et un très bon acteur).
C'est à prononcer avec une intonation de dépit extrême surjoué façon Drama (acteur) en sachant qu'en fait t'as probablement fait juste le minimum, carrement rien branler ou alors juste proprement fait ta tâche, hein, (bourrin) dans une situation où on t'a rien dit au préalable mais où l'on peut t'ordonner de faire mieux la prochaine fois, ou de carrément le refaire (contexte - genre tes devoirs, réparer un truc, un match, etc).
Ça signifie "Pourtant, j'ai fait de mon mieux ..." en mode Calimero, ce qui veut dire que selon toi, selon tes termes, t'as fait le meilleur possible (que ce soit vrai ou non).
Je peux vous assurer que très peu de personnes, hormis un patron à la con ou ton/ta conjoint.e te lâcheront un "Ganbatte Kudasai !" une fois qu'il a entendu ça. On va pas t'ordonner de faire de ton mieux si t'as déjà dit que tu as fait de ton mieux avec cette notion de déception dans la tournure de phrase et le ton employé.
Eh ouais, y'a une forme ultime au Justu de Mirette. Le combo ultime qui te permet même d'envoyer chier dans les ronces ceux qui oseraient te faire comprendre que, selon eux, c'était pas assez.
Ça consiste à d'abord utiliser la Seconde Forme, faire ce que tu estime le mieux sans pression, puis terminer par la Troisième Forme en mode Chuis-pas-super-satisfait, quand t'as fini.
Normalement, vous devriez recevoir un regard plein de compassion et surtout des vrais mots d'encouragement.
Ça peut paraitre sans race d'utiliser le Justu de Mirette, surtout la Forme Ultime, mais c'est un besoin vital de protection de sa santé mentale au milieu des bastons d'ego, de risque de PowaaHara (Power Harrassment) et de la compétition constante consistant à devenir le Marteau ou le meilleur Pieu, qui constituent la société japonaise.
Alors oui, ne pas pratiquer le Jutsuu de Mirette permet d'avoir ces moments poignants où le vieux Mentor félicite enfin son disciple en lui caressant la tête, après l'avoir traité comme de la merde parce qu'il voyait un énorme potentiel en lui (Gros jaloux, ouais).3 Cette reconnaissance que le disciple, l'enfant, le salarié recherchaient dans la bouche de leur maître, parents, patron pour savoir s'ils sont enfin de bon petit shakaijin4, et qui tombe enfin : "T'as bien fait de ton mieux, je suis maintenant certain que rien ne changera avec toi, tu vas en chier comme j'en ai chié et en chie encore, non mais tu t'es cru t'es qui, là ?".
On est ici dans l'ordre fort avec une notion de rapport hiérarchique "naturel" (parent/enfant, professeur/eleve). ↩
En vrai moi aussi, ça me touche ce genre de scène, hein. Faut pas prendre tout ce que je dis au premier degré... meme si y'a une part de vrai. ↩
Composé de shakai (社会), la société (groupe d'individu) et jin (人), la personne, c'est un mot qui n'existe qu'au Japon et qui designe ceux qui participe activement à la bonne marche de la société.Bref, ceux qui "mette en valeur du Capital", comme dit Friot, hein, faut pas cherché plus loin. On parle de ceux qui travaillent et rapporte de la thune, en opposition aux vieux, aux étudiants et jusqu'à récemment aux femmes au foyer, qui eux coûtent de la thune. La cerise, c'est que le terme connote les premiers comme des "citoyens de Première Classe", les second devenant de fait des "citoyens de Seconde Classe".Petit trivia, si on inverse la position des kanji de shakai, on obtient kaisha (会社), la société, l'entreprise (le groupe d'exploités, quoi). Coïncidence ? Allons, allons ... ↩